Les chiffres divergent presque du simple au double. Combien sont les chômeurs en France ? Les statistiques publiées par les autorités sont-elles fiables ? Peut-on légitimement croire à une baisse du chômage ? Autant de questions polémiques qui surgissent à nouveau à l’occasion de la publication par le ministère de l’Emploi des indicateurs pour novembre 2006.
Mais le sujet a n’a pas attendu aujourd’hui pour faire la une de la presse : dès jeudi, un collectif pointait l’existence de plus de 4,4 millions de chômeurs en France. On est loin des 2,374 millions du ministère.
Selon les chiffres officiels, le chômage aurait en effet baissé de près de 10 % sur un an, avec une accélération au cours des derniers mois. « Ce mois-ci (novembre), le chômage de longue durée a baissé de manière beaucoup plus significative que les autres et vraiment, c’est tant mieux », a précisé le ministre Jean-Louis Borloo. A 8,7 % selon les méthodes de calcul du BIT (Bureau international du travail), le taux de chômage revient ainsi à son niveau de juillet 2001.
Le nombre de chômeurs de catégorie 1, c’est-à-dire immédiatement disponibles à la recherche d’un emploi en contrat à durée indéterminée et à temps plein, a diminué de 0,8 %, pour s’élever à 2,112 millions. A noter que ce sont les jeunes de moins de 25 ans (-1,3 %) et les plus de 50 ans (- 1,4 %) qui en ont le plus bénéficié. Le chômage des jeunes, bête noire du gouvernement, reste toutefois très élevé, à 21,7 %.
Cette baisse du chômage ne serait rien d’autre que la conséquence d’un mouvement structurel de longue durée qui n’empêchera « peut-être pas un ou deux mauvais mois », explique Jean-Louis Borloo.
Pour le ministère, les raisons de ces bons chiffres sont simples : emplois aidés (80 000 dans le privé depuis le début de l'année, 357 000 dans les collectivités locales et les associations), services d’aide à la personne (130 000 emplois créés en 2006) favorisés par le chèque emploi service ou CESU, meilleure coopération entre l’Assedic et l’ANPE, suivi personnalisé des chômeurs, soutien à la création d'entreprise... Si le CPE n’a pas vu le jour face à l’opposition de l’opinion publique, 745 000 promesses d’embauche avec des CNE ont été formulées en août 2005 et novembre dernier.
« Les Français ont plus faim que ça ! »
Et le gouvernement entend bien poursuivre ce combat pendant cette campagne électorale : « Les Français ont plus faim que ça ! », a lancé le ministre de la Cohésion Sociale. « Structurellement, il n’y a aucune raison pour que la France ne revienne pas à un taux de chômage inférieur à la moyenne européenne ». Dans la zone euro, il s’élève, selon les chiffres d’Eurostat, à 7,7 %. Selon l’Insee, le taux de chômage pourrait descendre jusqu'à 8,2% en juin 2007.
En revanche, les entrées sur les listes de l’ANPE consécutives à un licenciement ont augmenté de 11,4 % depuis septembre, comparés au trois mois précédents (juin à août).
Mais quid des radiations et autres évictions en cours à l’ANPE ? Le collectif « Les autres chiffres du chômage » (ACDC), qui regroupe les associations AC !, les syndicats Sud ANPE ou CGT Insee, dénonce une « manipulation des chiffres » et l’ « instrumentalisation politique de l’ANPE ». Pour le collectif, il faut ajouter « 2,3 millions de chômeurs invisibles » aux données officielles, pour prendre en compte l’existence de 220 000 chômeurs vivant dans les DOM-TOM, de 871 000 demandeurs d’emploi à temps partiel, de 452 000 demandeurs d’emploi qui parviennent tout de même à travailler plus de 78 heures par mois, de 321 000 demandeurs d’emploi non immédiatement disponibles (car en stage, en formation, en arrêt maladie ou en congé maternité…) et de près de 412 000 personnes dispensées tout simplement de recherche d’emploi. Autant de situations de précarité qui viennent compléter l’unique catégorie mise en avant par le gouvernement, la « catégorie 1 » des chômeurs immédiatement disponibles et à la recherche d’un CDI à temps plein, explique ACDC.
Or, l’ANPE utilise huit catégories et semblerait avoir mis en place des passerelles souples entre chacune d’entre elles. Ce sont donc les méthodes de comptabilisation qui sont dénoncées par le collectif ACDC, reprenant à sa charge les critiques formulées en mars dernier par une conseillère de l’ANPE et reprises dans un livre qui avait beaucoup fait parler de lui (Chômage, des secrets bien gardés, de Fabienne Brutus, éditions Jean-Claude Gawsewitch). Il y est question des multiples pratiques de « nettoyage » des fichiers, de « peignage »… qui serait utilisées par l’ANPE pour faire dégonfler les statistiques. « La démographie n’est pas intervenue, ni les méthodes de comptabilisation ou de radiation », a rappelé Jean-Louis Borloo, lors de son point presse. La direction de l'ANPE a également souligné que « la baisse du chômage concerne actuellement l’ensemble des catégories ».
Les huit catégories utilisées par l’ANPE :
- catégorie 1 : personnes sans emploi, immédiatement disponible, ayant travaillé moins de 78 heures dans le mois, à la recherche d’un CDI à temps complet
- 2 : profil identique mais à la recherche d’un CDI à temps partiel
- 3 : même profil mais à la recherche d’un CDD, temporaire ou saisonnier, y compris de très courte durée
- 4 : personne sans emploi, non immédiatement disponible, à la recherche d’un emploi (personne en formation, en arrêt maladie …)
- 5 : personne pourvue d’un emploi à la recherche d’un autre emploi
- 6 : personne non immédiatement disponible à la recherche d’un autre emploi en CDI à plein temps
- 7 : profil identique mais à la recherche d’un CDI à temps partiel
- 8 : même profil mais à la recherche d’un CDD temporaire ou saisonnier, y compris de très courte durée