Liban : un dossier brûlant pour le nouveau ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner
Article du 24/05/2007
En quittant son poste présidentiel, Jacques Chirac a laissé à ses successeurs un dossier brûlant mais qui lui tenait tout particulièrement à cœur : celui du Liban. Alors que les affrontements se sont multipliés en début de semaine dans le nord du pays, qui abrite de nombreux camps de réfugiés palestiniens, Bernard Kouchner, à peine nommé au Qaui d’Orsay, embrasse là une tâche périlleuse.
Ainsi, après avoir fait part au Premier ministre libanais, Fouad Siniora, de la « solidarité de la France et sa confiance dans les autorités libanaises pour rétablir le calme et restaurer l’ordre », Bernard Kouchner s’est envolé pour le Liban. Le tout nouveau ministre des Affaires doit y passer deux jours pour y rencontrer Fouad Siniora, le président du parlement Nabih Berri et avec les principaux responsables politiques du pays, selon un communiqué du ministère. « Sa visite a pour objectif de réaffirmer la solidarité de la France avec le Liban et avec sa population, dans cette période critique, et de rappeler toute l’importance que nous attachons à l’indépendance, à la souveraineté et à la stabilité de ce pays », a déclaré le ministère des Affaires étrangères.
Armée libanaise contre Fatah al-Islam
Sur place, les trois jours de violents combats entre des militants du Fatah al Islam et des militaires libanais ont laissé place à une trêve suite au « cessez-le-feu » unilatéral, déclaré mardi par le mouvement.
Hier soir pourtant, l’armée libanaise a menacé d’une intervention dans le camp de réfugiés palestiniens de Nahr al-Bared, où se sont retranchés des miliciens du Fatah al-Islam suspectés d’avoir commis un cambriolage de banque dans la ville proche de Tripoli.
Au-delà de la volonté d’arrêter les voleurs présumés, ces heurts entre l’armée libanaise et les miliciens du Fatah al-Islam en disent long sur le désir des autorités libanaises d’éradiquer ce mouvement militant sunnite, qui a fait du camp de réfugiés de Nahr al Bared sa base opérationnelle l’année dernière. Un bastion idéal pour ces miliciens dans la mesure où les camps de réfugiés constituent une zone de non droit particulièrement difficile à appréhender sur le plan de législation. Aux termes d’accords libano-palestiniens conclus il y a 38 ans, les forces de l’ordre libanaises ne sont pas autorisées à entrer à l’intérieur des camps palestiniens. Les activistes palestiniens violent eux le droit de l’ONU en étant armés dans un camp de réfugiés.
Basé en Syrie, le Fatah al-Islam est un groupuscule extrémiste palestinien - qui emploie également d’autres nationalités arabes et des anciens combattants en Irak -, émanation du prosyrien Fatah-Intifada, qui fit sécession du Fatah de Yasser Arafat au début des années 1980 et opposé au Fatah du président palestinien Mahmoud Abbas.
Le mouvement dit partager les analyses d’Al Qaïda, sans pour autant entretenir de liens opérationnels avec la nébuleuse dont Oussama ben Laden.
Son leader, Chaker al-Absi, est recherché dans trois pays depuis sa libération en Syrie. Parmi les militants du Fatah al-Islam tués par l’armée libanaise figurerait Saddam el-Hajdib, numéro 4 de l’organisation et soupçonné de participation à un attentat avorté contre un train l’été dernier en Allemagne. Considéré comme proche de l’ancien chef d’Al-Qaïda en Irak al-Zarqaoui, l’homme avait été jugé par contumace au Liban en relation avec cette tentative d’attentat.
Le Fatah al-Islam est soupçonné par les autorités libanaises d’être l’outil des services de renseignement syriens dans une tentative de déstabilisation du Liban. Damas dément. Mais les relations entre les deux pays ont toujours été plus que tendues.
En février 2005, la mort criminelle de l’ancien premier ministre Rafic Hariri est pour beaucoup de Libanais le fait de la Syrie. Cet attentat provoque des manifestations libanaises sans précédent contre l’occupation syrienne. Mi-mars, sous la pression de la rue et la pression internationale, et après 30 ans de contrôle, Damas déclare à l’ONU son intention de retirer l’ensemble de ses forces et personnels de renseignement du Liban. Un retrait effectif mais à reculons durant tout le printemps 2005 même si la multiplication des attentats contre des personnalités politiques durant le restant de l’année 2005 témoigne pour certains d’un reliquat de présence syrienne au Liban.
Des milliers de réfugiés palestiniens contraints à l’exode
Dans le camp de Nahr al Bared, l’accalmie permet de compter les morts, chiffrer les dégâts provoqués par les bombardements rivaux mais aussi aux réfugiés palestiniens qui s’y entassaient par milliers de fuir cette zone d’affrontement. Ainsi, des centaines de familles ont entrepris un exode en direction des autres camps de réfugiés que comptent la région. Un corridor humanitaire autorisé par l’armée a été mis en place aux entrées sud du camp pour permettre aux populations de rejoindre un autre abri de fortune, à Baddaoui où vivent déjà 16 000 réfugiés.
Les rares journalistes sur place rapportent des propos d’ « apocalypse », selon les dires des populations en fuite. Ces trois journées de combats ont été les pires violences qu’aies connues le Liban depuis la guerre civile de 1975-1990. Des combats qui auraient fait officiellement 70 victimes et des dizaines de blessés parmi la population civile.
Un épisode douloureux pour le Liban
Ces violences interviennent alors que les Occidentaux - Etats-Unis, France et Grande-Bretagne - ont déposé jeudi dernier au Conseil de sécurité de l’ONU un projet de résolution visant à mettre en place un tribunal international pour juger les assassins de Rafic Hariri, actuellement bloqué par la crise politique à Beyrouth.
Ces heurts ont également lieu quasiment un an après la guerre entre le Liban et Israël. En 2006, suite à un accrochage entre le Hezbollah et l’armée israélienne à la frontière, la guerre avait mis à sac les réussites de la reconstruction et du renouveau économique du Pays du Cèdre, fort de 4,5 millions d’habitants. Ces violences ont fait plus de 1 200 morts parmi la population civils, dont 30 % d’enfants de moins de 12 ans, et près d’un million de déplacés. Le coût des destructions au Liban est estimé à au moins 15 milliards de dollars. Sans compter l’instabilité politique et économique qui est le quotidien du pays depuis l’assassinat de Rafic Hariri.
Les Etats-Unis ont déjà accordé 40 millions de dollars d’assistance militaire au Liban en 2006 et 5 millions en 2007. Une enveloppe grossie par d’autres contributeurs internationaux, parmi lesquels la France qui a toujours eu des liens étroits avec le Liban. D’ailleurs, en janvier dernier, Paris avait accueilli une réunion internationale pour tenter de sortir le Liban de la banqueroute - la dette libanaise atteint les 41 milliards de dollars.
Mais ces aides restent toutefois insuffisantes pour remettre le pays sur pied, assurer les nécessaires réformes socio-économiques et politiques, redresser l’économie, permettre les opérations de déminage et d’enlèvement des engins non explosés…
La reprise des violences au Liban n’est donc pas de bon augure. La tension est palpable. Hier, dans le centre de Tripoli, l’autre grande ville du pays, un membre du groupe islamiste Fatah al-Islam s’est fait exploser dans un appartement où il s’était réfugié pour échapper à la police.
Outre les affrontements de Nahr al Bared, deux attentats, démentis par le Fatah al-Islam, ont frappé Beyrouth, la capitale, dimanche et lundi, dont un dans le quartier chrétien d’Achrafiyé. Par ailleurs, un troisième a fait au moins cinq blessés à Aley, une localité druze de l’est de Beyrouth.