En quittant son poste présidentiel, Jacques Chirac a laissé à ses successeurs un dossier brûlant mais qui lui tenait tout particulièrement à cœur : celui du Liban. Alors que les affrontements se sont multipliés en début de semaine dans le nord du pays, qui abrite de nombreux camps de réfugiés palestiniens, Bernard Kouchner, à peine nommé au Qaui d’Orsay, embrasse là une tâche périlleuse.
Ainsi, après avoir fait part au Premier ministre libanais, Fouad Siniora, de la « solidarité de la France et sa confiance dans les autorités libanaises pour rétablir le calme et restaurer l’ordre », Bernard Kouchner s’est envolé pour le Liban hier. Le tout nouveau ministre des Affaires doit y passer encore la journée pour rencontrer les principaux responsables politiques du pays. « Sa visite a pour objectif de réaffirmer la solidarité de la France avec le Liban et avec sa population, dans cette période critique, et de rappeler toute l’importance que nous attachons à l’indépendance, à la souveraineté et à la stabilité de ce pays », a déclaré le ministère des Affaires étrangères.
Bernard Kouchner connaît bien le Liban. Il y était déjà venu comme médecin, puis comme ministre à l’Action humanitaire en 1989, en pleine guerre civile libanaise. « Nous comprenons la détermination du gouvernement légitime (de Fouad Siniora) de rétablir l’ordre sur le territoire, tout en restant attentif au sort des populations civiles », a souligné le ministre français des Affaires Etrangères après s’être entretenu avec le Premier ministre libanais Fouad Siniora.
Le ministre a ensuite rencontré Saad Hariri, le chef de la majorité parlementaire antisyrienne et fils de Rafic Hariri, puis le président du Parlement Nabih Berri, un des chefs de l’opposition.
Armée libanaise contre Fatah al-Islam
Sur place, les trois jours de violents combats entre des militants du Fatah al Islam et des militaires libanais ont laissé place à une trêve suite au « cessez-le-feu » unilatéral, déclaré mardi par le mouvement.
Mercredi soir pourtant, l’armée libanaise continuait de menacer d’une intervention dans le camp de réfugiés palestiniens de Nahr al-Bared, où se sont retranchés des miliciens du Fatah al-Islam suspectés d’avoir commis un cambriolage de banque dans la ville proche de Tripoli.
Au-delà de la volonté d’arrêter les voleurs présumés, ces heurts entre l’armée libanaise et les miliciens du Fatah al-Islam en disent long sur le désir des autorités libanaises d’éradiquer ce mouvement militant sunnite, qui a fait du camp de réfugiés de Nahr al Bared sa base opérationnelle l’année dernière. Un bastion idéal pour ces miliciens dans la mesure où les camps de réfugiés constituent une zone de non droit particulièrement difficile à appréhender sur le plan de législation. Aux termes d’accords libano-palestiniens conclus il y a 38 ans, les forces de l’ordre libanaises ne sont pas autorisées à entrer à l’intérieur des camps palestiniens. Les activistes palestiniens violent eux le droit de l’ONU en étant armés dans un camp de réfugiés.
Basé en Syrie, le Fatah al-Islam est un groupuscule extrémiste palestinien - qui emploie également d’autres nationalités arabes et des anciens combattants en Irak -, émanation du prosyrien Fatah-Intifada, qui fit sécession du Fatah de Yasser Arafat au début des années 1980 et opposé au Fatah du président palestinien Mahmoud Abbas.
Le mouvement dit partager les analyses d’Al Qaïda, sans pour autant entretenir de liens opérationnels avec la nébuleuse dont Oussama ben Laden.
Son leader, Chaker al-Absi, est recherché dans trois pays depuis sa libération en Syrie. Parmi les militants du Fatah al-Islam tués par l’armée libanaise figurerait Saddam el-Hajdib, numéro 4 de l’organisation et soupçonné de participation à un attentat avorté contre un train l’été dernier en Allemagne. Considéré comme proche de l’ancien chef d’Al-Qaïda en Irak al-Zarqaoui, l’homme avait été jugé par contumace au Liban en relation avec cette tentative d’attentat.
Le Fatah al-Islam est soupçonné par les autorités libanaises d’être l’outil des services de renseignement syriens dans une tentative de déstabilisation du Liban. Damas dément. Mais les relations entre les deux pays ont toujours été plus que tendues.
En février 2005, la mort criminelle de l’ancien premier ministre Rafic Hariri est pour beaucoup de Libanais le fait de la Syrie. Cet attentat provoque des manifestations libanaises sans précédent contre l’occupation syrienne. Mi-mars, sous la pression de la rue et la pression internationale, et après 30 ans de contrôle, Damas déclare à l’ONU son intention de retirer l’ensemble de ses forces et personnels de renseignement du Liban. Un retrait effectif mais à reculons durant tout le printemps 2005 même si la multiplication des attentats contre des personnalités politiques durant le restant de l’année 2005 témoigne pour certains d’un reliquat de présence syrienne au Liban.
Des milliers de réfugiés palestiniens contraints à l’exode
Dans le camp de Nahr al Bared, l’accalmie permet de compter les morts, chiffrer les dégâts provoqués par les bombardements rivaux mais aussi aux réfugiés palestiniens qui s’y entassaient par milliers de fuir cette zone d’affrontement. Ainsi, des centaines de familles ont entrepris un exode en direction des autres camps de réfugiés que comptent la région. Un corridor humanitaire autorisé par l’armée a été mis en place aux entrées sud du camp pour permettre aux populations de rejoindre un autre abri de fortune, à Baddaoui où vivent déjà 16 000 réfugiés. Hommes, femmes et enfants sont minutieusement fouillés par les soldats, qui encerclent le camp. L’armée ne permet plus à personne de rentrer dans le camp et s’est déployée en force sur la route reliant Tripoli à la frontière syrienne.
Au total, près de la moitié des quelque 31.000 habitants du camp, selon les estimations du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), se sont déjà rendus dans le camp tout proche de Baddaoui, la grande ville de Tripoli ou les villages environnants.
Les rares journalistes sur place dans le camp de Nahr al Bared rapportent des propos d’ « apocalypse », selon les dires des populations en fuite. Ces trois journées de combats ont été les pires violences qu’aies connues le Liban depuis la guerre civile de 1975-1990. Des combats qui auraient fait officiellement 70 victimes et des dizaines de blessés parmi la population civile.
Le CICR doit à distribuer 200 tonnes de vivres aux réfugiés de Nahr al-Bared.
Un épisode douloureux pour le Liban
Ces violences interviennent alors que les Occidentaux - Etats-Unis, France et Grande-Bretagne - ont déposé la semaine dernière au Conseil de sécurité de l’ONU un projet de résolution visant à mettre en place un tribunal international pour juger les assassins de Rafic Hariri, actuellement bloqué par la crise politique à Beyrouth.
Ces heurts ont également lieu quasiment un an après la guerre entre le Liban et Israël. En 2006, suite à un accrochage entre le Hezbollah et l’armée israélienne à la frontière, la guerre avait mis à sac les réussites de la reconstruction et du renouveau économique du Pays du Cèdre, fort de 4,5 millions d’habitants. Ces violences ont fait plus de 1 200 morts parmi la population civils, dont 30 % d’enfants de moins de 12 ans, et près d’un million de déplacés. Le coût des destructions au Liban est estimé à au moins 15 milliards de dollars. Sans compter l’instabilité politique et économique qui est le quotidien du pays depuis l’assassinat de Rafic Hariri.
Les Etats-Unis ont déjà accordé 40 millions de dollars d’assistance militaire au Liban en 2006 et 5 millions en 2007. Une enveloppe grossie par d’autres contributeurs internationaux, parmi lesquels la France qui a toujours eu des liens étroits avec le Liban. D’ailleurs, en janvier dernier, Paris avait accueilli une réunion internationale pour tenter de sortir le Liban de la banqueroute - la dette libanaise atteint les 41 milliards de dollars.
Mais ces aides restent toutefois insuffisantes pour remettre le pays sur pied, assurer les nécessaires réformes socio-économiques et politiques, redresser l’économie, permettre les opérations de déminage et d’enlèvement des engins non explosés…
La reprise des violences au Liban n’est donc pas de bon augure. La tension est palpable. Par ailleurs, plusieurs attentats ont eu lieu depuis le début de la semaine à Beyrouth, la capitale, notamment dans le quartier chrétien d’Achrafiyé.