Meurtre de la journaliste russe Anna Politkovskaïa : dix suspects arrêtés
Article du 27/08/2007
La justice russe a annoncé lundi l'arrestation de dix suspects dans le meurtre de la journaliste d'opposition Anna Politkovskaïa et accusé le commanditaire d'avoir tenté de "déstabiliser", depuis "l'étranger", le président Vladimir Poutine. "Nous avons sérieusement avancé dans l'enquête concernant le meurtre de la journaliste Politkovskaïa. A l'heure actuelle, dix personnes ont été arrêtées. Elles sont sur le point d'être inculpées", a déclaré le procureur général Iouri Tchaïka lors d'une rencontre avec le chef de l'Etat retransmise à la télévision.
Il a précisé lors d'une conférence de presse que le principal exécutant était un Tchétchène, chef d'un groupe criminel opérant à Moscou et spécialisé dans les meurtres commandités.
M. Tchaïka n'a pas souhaité préciser l'identité des exécutants, ni celle du commanditaire, reconnaissant seulement la présence, parmi les dix suspects arrêtés, de membres du ministère de l'Intérieur et du Service fédéral de sécurité (FSB, ex-KGB). "Les personnes qui avaient intérêt à éliminer Politkovskaïa ne peuvent que vivre hors de Russie", a cependant suggéré M. Tchaïka dans une apparente allusion au milliardaire russe Boris Berezovski, aujourd'hui exilé à Londres. "Le but principal était une déstabilisation du régime, la discréditation des responsables du pays et le retour à la situation d'il y a dix ans", quand "tout était décidé par l'argent et les oligarques", a-t-il ajouté.
Eminence grise du président Boris Eltsine tombée en disgrâce avec l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000, Boris Berezovski est poursuivi en Russie pour ses appels à renverser l'équipe au pouvoir au Kremlin.
L'homme d'affaires a riposté en accusant le Kremlin d'être "derrière" le meurtre. L'empoisonnement de l'ancien agent Alexandre Litvinenko "a été organisé par le FSB. Je n'ai aucun doute que ce soit la même chose dans le cas de Politkovskaïa", a-t-il ajouté.
Le procureur général a assuré qu'Anna Politkovskaïa "connaissait et avait rencontré" le commanditaire. Il a également fait le lien entre ce meurtre et celui du journaliste américain Paul Klebnikov, rédacteur en chef de l'édition russe du magazine Forbes en juillet 2004.
La rédaction de Novaïa Gazeta, le journal de Mme Politkovskaïa, a accueilli avec satisfaction l'annonce de ces arrestations, un peu moins d'un an après le meurtre en octobre 2006 de la journaliste. Sergueï Sokolov, rédacteur en chef adjoint du bi-hebdomadaire, a salué le "niveau très professionnel" de l'enquête.
Le silence des autorités avait suscité des doutes sur leur volonté de faire la lumière concernant le meurtre de la journaliste, très critique à l'encontre de M. Poutine et du lancement de la deuxième guerre de Tchétchénie fin 1999.
La presse a spéculé quant à elle sur une initiative de proches du régime pro-russe de Ramzan Kadyrov en Tchétchénie ou sur une vengeance des milieux de l'armée et du renseignement russes, critiqués par la journaliste pour leurs exactions en Tchétchénie.
L'annonce de M. Tchaïka suscite aussi des interrogations dans un pays où les assassinats de personnalités médiatiques et politiques sont rarement élucidés. "Quasiment aucun meurtre de journaliste n'a été résolu en Russie", rappelle Oleg Panfilov, directeur du Centre du journalisme en situations extrêmes, qui recense les atteintes à la liberté de la presse en Russie. "Je pense que le Kremlin en a assez des questions sur la scène internationale" concernant ce meurtre, ajoute-t-il, dénonçant "encore un coup de bluff, comme dans l'affaire Paul Klebnikov".
Le procès des meurtriers présumés de ce journaliste américain assassiné en 2004 à Moscou a été suspendu au début de l'année.