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Wall-Street bientot en forte baisse?

Article du 09/09/2024
Pendant des années, tout allait plutôt bien dans les bulletins de santé officiels du Président Joe Biden. On sentait que quelque clochait, mais on n’osait pas leur en parler car cela était très mal vu.
Il a suffit d’un moment de révélation pour que l’on passe dans ce camp à la panique, puis à un changement de narratif pour se raccrocher aux branches et tenter de sauver le magot.
Il en va de même sur les marchés.
La FED et Wall Street se sont accordés pendant deux ans et demi pour voir la vie en rose alors que l’économie tombait malade, et maintenant ce narratif dominant commence à se lézarder : va-t-on entrer dans un bear market, en ligne avec une macroéconomie morose et avec des valorisations tendues, ou serons-nous sauvés comme à l’hiver 2022-2023 par la découverte soudaine d’un thème quasi-centenaire (l’intelligence artificielle, arrivée au meilleur moment) ?

La récession manufacturière est globale (hors Chine) depuis avril 2022. C’est précisément à ce moment là que TOUS les indicateurs tournent au vinaigre, les ISM, le NAHB, le NFIB, M2, les rentrées fiscales, les PMI, puis les créations de vrais postes à temps plein dans la composante cyclique du secteur privé, etc. C’est gênant pour la FED qui commence alors son mouvement de resserrement monétaire. Peu de temps après, les pentes des courbes de taux d’intérêt s’inversent toutes en Occident.
C’est très gênant pour la FED, mais aussi pour la logique, pour la morale, et pour certaines banques régionales. Mais qui s’intéresse encore vraiment aux données en dehors de ce qu’elles pourraient induire comme changement d’attitude de la FED ? Qui fait bien le lien entre une inversion de pente de la courbe des taux et la responsabilité/culpabilité du banquier central ? Qui a très envie sur les marchés actions de broyer du noir alors que les chèques de Washington affluent, alors qu’une immigration imprévue fluidifie les conditions d’offre et de demande, alors que les ménages finissent la déplétion de leur épargne-Covid (et consomment leur richesse financière, comme pour boucler la boucle) ?

Les avertissements ont bien eu lieu, par exemple en octobre 2022 (l’éviction de Liz Truss par la Banque d’Angleterre), en mars 2023 (la tragi-comédie des banques régionales US, « sauvées » pas la FED et par JP Morgan), ou début août 2024 (le pseudo-débouclage des positions de carry-trade sur le Yen, comme par hasard 2 jours après de mauvais chiffres US et suite à une réunion de la FED ratée le 31 juillet). Mais l’économie US vivait sous stéroïdes. La FED communiquait sur un « soft landing » en guise de pire scénario, pour diffracter tout blâme ; le marché des actions (un sport essentiellement américain) voulait croire dans le « FED put » c'est-à-dire dans une forme d’assurance automatique et gratuite ; de sorte que la dégradation continue des indicateurs était perçue comme une bonne chose (« bad news = good news ») puisqu’elle était vue comme le signe imminent de déclanchement de cette police d’assurance.

C’est ce narratif qui s’effondre depuis quelques temps. Les chiffres US se dégradent tellement qu’on ne peut plus le nier, même à la FED. Le BLS a tellement menti qu’on ne peut même plus croire à l’inverse de ce qu’il nous raconte. Encore 818 000 emplois ont été effacés (en plus des révisions baissières au fil de l’eau) pour la période mars23/mars24, et depuis la quantité et la qualité des emplois se sont encore détériorées, cependant que d’autres révisions sont en vue, que la durée du travail baisse, que les indicateurs avancés ne prévoient rien de bon, que l’immigration n’est plus un atout dans cette équation mais une charge.
Oui mais si l’emploi se grippe, alors l’immobilier va rester gelé. Il ne pouvait plus y avoir de transactions avec un taux mortgage fixe 30 ans conventionnel au dessus de 7% ; mais ce ne sont pas quelques baisses de taux de 25 points de base de la FED qui vont ranimer cette flamme si l’emploi corrige. Plus généralement, le marché redécouvre mais un peu tard que la FED agira sans doute trop peu et trop tard, comme depuis 100 ans : des FED Funds à 5,25% quand tout semble aller à peu près bien sont en réalité plus accommodants que 3,75% courant 2025 quand le consensus dira que tout va à peu près mal.
Autrement dit, le marché réalise comme à chaque début de crise que les taux économiques vont monter dans les mois qui viennent (même si la FED semble capituler dans l’autre sens), qu’il n’y aura peut-être pas assez de monnaie pour tout le monde (la masse monétaire au sens large a perdu 5% depuis avril 2022), qu’il y a des sureffectifs (c’est indiscutable en zone euro où la productivité du travail baisse depuis 2017 !), que les autorités budgétaires n’ont peut-être plus assez de munitions en France et ailleurs, que le taux d’épargne de la Nation est très faible aux USA, etc.

Et soudain l’esprit critique revient, comme pour les facultés de Joe Biden. Depuis quelques jours, bad news = bad news, et le revirement de la FED ne rassure même plus les touristes. On redécouvre qu’acheter une boite dont la capitalisation boursière dépasse 10 fois son chiffre d’affaires courant est rarement payant ; hélas, c’est la situation de nombreuses stars de la côte. La correction trop longtemps différée doit avoir lieu, pour on ne sait combien de temps, pour on ne sait quelle intensité. Elle viserait prioritairement les secteurs domestiques de moyenne gamme, plus soumis à la macroéconomie que les autres (matières premières, retailers, banques…), même si pour l’heure elle vise aussi et surtout les boites de la Tech et du Luxe qui se situaient au zénith. Le marché aime bruler ce qu’il a adoré, et corrige ses excès par d’autres excès.

Il y a encore l’espoir d’un report ; 5 minutes de plus monsieur le bourreau. L’espoir d’un narratif puissant qui ajouterait une nouvelle jambe à un marché structurellement haussier depuis le 9 mars 2009 : élections US (bof…), perspectives de QE (trop lointaines ?), retour de la Chine (elle n’est jamais partie !), nouvelles promesses de l’IA... Qui sait. Il y a surtout le fait que certains acteurs plus malins que la moyenne sont bourrés de cash, et qu’ils pourraient se payer le marché après une saine correction : de sorte que nous ne partirions pas vers des années de purge. On pense ici aux plus grosses firmes, à Warren Buffet, à certains épargnants. Serait-ce suffisant ? Et à quel niveau des cours ? Allons-nous finir avec plus de questions que de réponses ?
A très court terme, le cash est roi. Il pourrait l’être encore plus si des chocs externes (protectionnisme… Ukraine… Iran…) se rajoutaient à ce tableau général déjà très vulnérable. La balance des risques et des opportunités est mal inclinée. Sauf sur quelques cas particuliers où nous ne sommes déjà plus très loin de zones de prix attractives ; mais cela implique de pouvoir enjamber les difficultés de l’hiver prochain, autrement dit cela implique une mentalité d’investisseur et de fortes convictions de moyen terme. Nous en reparlerons. En attendant, le FOMC le 18 septembre ne va pas nous libérer/délivrer (pile une baisse trop faible, face une baisse trop forte pour le marché des actions qui redoute une opération vérité), et les élections le 5 novembre non plus, très probablement. Nous en saurons un peu plus avec les chiffres du T3, et encore. C’est une phase de patience et de choix cruels qui s’ouvre : logique, après une longue phase où tout a été acheté et le plus vite possible.

Mathieu Mucherie, économiste de marché.
Pour Francebourse.com
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