Un baril de pétrole qui dépasse les 80 dollars. Un euro qui a le seuil de 1,40 dollar en ligne de mire. Cette flambée soudaine, quelques semaines après la crise du « subprime » qui a traversé les Bourses mondiales, a de quoi inquiéter.
Sur le plan des devises, l’euro a atteint hier un nouveau record absolu face au dollar. La monnaie unique européenne s’est en effet hissée jusqu’à 1,3927 dollar, un niveau jamais atteint depuis sa création en 1999.
Les raisons de cette flambée : les attentes des opérateurs devant les décisions prochaines des grandes banques centrales. D’un côté, le dollar est affaibli dans l’attente de voir la Réserve fédérale américaine (Fed) annoncer mardi prochain18 septembre une baisse de son taux d’intérêt directeur, afin de diminuer les risques d’une récession économique du pays, qui a donné de nets signes de ralentissement.
La plupart des analystes tablent sur une baisse de 50 points de base d’un coup, laquelle porterait le taux directeur américain à 4,75 %, contre 5,25 % actuellement.
De l’autre, les taux d’intérêt semblent devoir encore grimper en zone euro, au moins jusqu’à 4,25 % - contre 4 % actuellement - et cette divergence des anticipations monétaires soutient la devise européenne. La Banque centrale européenne (BCE) a relevé ses taux 8 fois depuis décembre 2005, lorsqu’ils étaient établis à 2 %.
La hausse continue des taux d’intérêt et la relative bonne santé de l’économie de la zone euro ont soutenu la monnaie unique, explique Howard Archer, économiste au cabinet Global Insight. Alors que « le dollar s’est retrouvé sous pression pendant une grande partie de l'année 2007 en raison d'un ralentissement de la croissance américaine, des inquiétudes entourant l’état du marché immobilier, et des spéculations récurrentes sur une baisse des taux aux Etats-Unis ».
La progression de l’euro est donc à la fois le résultat de la faiblesse intrinsèque du billet vert, déprimé par les perspectives économiques et monétaires américaines mais aussi de la vigueur de l’euro.
Dernier facteur ayant permis à la monnaie unique de renouer avec sa tendance de long terme d’appréciation, le billet vert a perdu le soutien dont il bénéficiait encore au mois d’août, au plus fort de la crise du crédit.
Les turbulences sur les marchés du crédit et sur les Bourses mondiales avaient suscité un mouvement d’aversion au risque et poussé les investisseurs vers les valeurs sûres, dont fait partie le dollar. Le reflux de l’aversion au risque a mis un terme à ce redressement.
Les économistes anticipent déjà un dépassement à court terme du seuil de 1,3950 dollar, puis de 1,40 dollar.
Pourtant, certains arguent que l’euro fort, symptôme d’une économie en bonne santé, porte en germe les causes d’un ralentissement économique. Hier, c’est un conseiller économique du gouvernement allemand Peter Bofinger, qui a semblé rejoindre la position française en préconisant des interventions sur le marché des changes pour soutenir le dollar. Autres critiques de la classe politique française : la politique de resserrement monétaire de la BCE, à qui il est reproché de surestimer les risques inflationnistes et d’entraver la croissance européenne en entretenant la hausse de la monnaie unique.
Le pétrole, tout feu, tout flamme
Autre record historique hier, cette fois du côté de l’or noir. Les cours du brut ont amélioré leur record historique en progressant encore au-delà de 80 dollars à New York et en flirtant avec les 78 dollars à Londres.
Plusieurs facteurs là aussi à cette flambée. La décision de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) mercredi de pomper à partir du 1er novembre 500 000 barils de plus par jour qu’elle ne le fait actuellement reste entourée de scepticisme. Le cartel s’est finalement résolu à porter ses objectifs de production à 27,2 millions de barils (mbj) par jour, soit une augmentation de 1,4 mbj.
La production des 12 pays membres s’élève à environ 30,5 millions de barils par jour (mjb), y compris l’Irak et l’Angola, nouveau membre qui n’a pas encore été doté d’un quota. La production des 10 pays soumis aux quotas est officiellement fixée à 25,8 mbj.
Il y a encore une semaine, une telle décision de relever les quotas de production semblait exclue. Mais l’OPEP ne fait que régulariser une situation de fait : ses pays membres produisent déjà officieusement près d’un million de barils de plus que la cible officielle.
Cette mesure permet en outre à l’Arabie Saoudite de ménager leur relation privilégiée avec les Etats-Unis, particulièrement affectés par la crise immobilière et financière actuelle. Les faucons du cartel, l’Iran et le Venezuela, qui produisent déjà à pleine capacité, ont eux sans doute accepté à contre-coeur la hausse : elle devrait peser sur leurs recettes pétrolières si les prix retombent et ils ne sont pas non plus enclins à faire de cadeau à Washington.
L’OPEP a voulu tenir compte de « la forte demande hivernale (qui) exige d’approvisionner suffisamment le marché » , dixit le secrétaire général de l’organisation, Abdullah el-Badri.
Et il s’agit là de l’autre facteur expliquant la progression des cours. Si le pic de consommation estival est passé, les analystes ont les yeux rivés sur l’état des stocks mondiaux au quatrième trimestre, qui coïncide avec une forte demande de produits de chauffage dans l’hémisphère nord.
Mercredi, le département américain de l’Energie (DoE) a annoncé une baisse de 7,1 millions de barils des stocks américains de brut lors de la semaine achevée le 7 septembre, presque trois fois plus importante que les attentes.
L’Agence américaine d’information sur l'énergie (IAE) estime par exemple que la demande mondiale de pétrole sera de 1,8 million de barils par jour supérieure à son niveau de l’an dernier pendant le second semestre 2007.
Et malgré le geste de l’OPEP, cette production supplémentaire est trop faible et ne parviendra aux marchés qu’à la fin de l'hiver, trop tard pour répondre à la hausse de la demande, jugent les analystes.
Le scénario du second semestre 2007 devrait donc être bien différent de celui de l’an passé.
Les cours avaient subi une nette correction à la baisse en décembre, la douceur inhabituelle de l’hiver dans l’hémisphère nord ayant détendu la demande et fait penser aux courtiers que le marché était sur-approvisionné. En septembre 2006, les prix du pétrole étaient déjà sur le déclin, une tendance saisonnière habituelle puisque la demande marque en général une pause au troisième trimestre, phase de transition.
Rien de tel cette année. Les cours ont repris 60 % depuis leur bref passage sous les 50 dollars le baril en décembre et ils évoluent nettement au-dessus de leur niveau de l’an dernier à pareille époque, quand un baril coûtait 63 dollars à Londres, et un peu plus de 64 dollars à New York.
Mercredi, réunis à Vienne, les pays membres de l’OPEP étaient en définitive confrontés à un dilemme. Etre accusés d’aggraver la crise économique actuelle en ne faisant rien alors que les prix du brut flirtent avec les 80 dollars. Ou voir se reproduire le scénario cauchemardesque de la crise asiatique : le cartel avait relevé sa production de 10 % pour finalement voir le prix du baril s’écrouler jusqu’à 10 dollars en 1999. Ou encore le recul brutal des prix au deuxième semestre 2006 : ils étaient tombés de plus de 78 dollars pendant l’été à moins de 50 dollars à la mi-janvier.
Last but not least, dernier facteur haussier, les investisseurs cherchent à déterminer l'impact que pourrait avoir sur les infrastructures pétrolières du golfe du Mexique la tempête tropicale Humberto, qui avait touché terre hier sur le Texas et la Louisiane sous forme d'un ouragan de catégorie 1 (sur une échelle de 5). A Port-Arthur, trois raffineries ont été fermées.
L’Europe pourrait se brûler les doigts
L’économie européenne, qui croyait avoir retrouvé le chemin de la croissance forte, voit donc déjà l’horizon s’obscurcir avec les nouveaux records de l’euro, le prix de pétrole à des niveaux vertigineux et l’impact de la correction sur les marchés financiers mondiaux.
Jusqu’à un certain point, l’appréciation de la monnaie unique permet paradoxalement d’amortir le choc de la flambée des coûts énergétiques en zone euro, « puisque l'on achète nos matières premières en dollars », souligne Nicolas Bouzou, économiste du cabinet Astérès.
Mais cette protection reste « très partielle » et la tendance générale des tarifs de l’énergie depuis plusieurs années reste très nettement orientée à la hausse.
Surtout, les exportateurs européens sont de plus en plus pénalisés car leurs produits se vendent moins bien que ceux venus de la zone dollar sur les marchés mondiaux. Cela « pose problème pour le commerce extérieur (...) pèse sur les déficits, pèse sur la croissance », explique le ministre français du Budget Eric Woerth.
La France, davantage touchée que l’Allemagne car moins compétitive, tire la sonnette d’alarme depuis plusieurs mois. La Commission européenne a d’ailleurs abaissé cette semaine de 2,4 % à 1,9 % sa prévision de croissance 2007 pour la France, alors qu’elle ne l’a que marginalement rectifiée pour l’ensemble des treize pays de la zone euro, de 2,6 % à 2,5 %, après 2,7 % en 2006.
Mais même en Allemagne, championne mondiale des exportations grâce à la vigueur retrouvée de son industrie restructurée, l’inquiétude grandit. Et l’un des principaux conseillers économiques du gouvernement, Peter Bofinger, a appellé les pays européens à intervenir sur les marchés des changes pour stopper l'envolée de l'euro, dans le Berliner Zeitung paru hier. « On pouvait supporter une appréciation de l’euro tant qu’on était assis sur une croissance de la demande internationale très vigoureuse », souligne Véronique Riches Flores, économiste de la Société générale. « Dès lors qu’on a ralentissement de la demande et appréciation du taux de change, c’est la pire des configurations ».
Euro fort et pétrole cher, s’ajoutant au contrecoup de la crise financière de l’été, devraient figurer en bonne place dans les discussions qu’auront les ministres européens de l’Economie vendredi et samedi à Porto. Avec une inquiétude en tête : la reprise économique en Europe risque-t-elle de s’achever avant d’avoir vraiment commencé ?