La crise de financement qui secoue le monde bancaire survient paradoxalement à l’heure où les liquidités abondent dans le monde, en particulier dans les pays émergents. « Ce n'est pas qu’on manque de liquidités, c’est qu’elles ne circulent pas », résume Jean-François Robin, stratège obligataire de Natixis. Les banques sont en effet confrontées à une grave crise de financement depuis cet été : ne sachant pas lesquelles détiennent dans leurs portefeuilles des titres liés aux prêts immobiliers à risque américains (« subprime »), susceptibles donc d’enregistrer de nouvelles pertes, elles ne veulent plus se prêter entre elles. Et ce au moment où les dépréciations d’actifs liées à l’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis les obligent à renforcer leurs réserves financières pour conserver de bons ratios de capitalisation.
Mais si le marché interbancaire se retrouve quasi paralysé, les fonds en circulation abondent dans le monde. « La masse monétaire mondiale augmente à un rythme infernal de 10 % à 15 % par an », notamment à cause de la création monétaire des banques centrales de grands pays occidentaux, remarque Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des Economistes.
Les réserves de change des grands pays exportateurs de biens de consommation comme la Chine (1 455 milliards de dollars) ne cessent de se gonfler, tout comme celles des pays producteurs de matières premières, pétroliers en particulier.
Des montagnes de cash dont disposent les pays émergents mais aussi des pays riches comme le Japon ou la Norvège, et qui alimentent des fonds « souverains », destinés à faire fructifier ces réserves monétaires. Ces fonds de plus en plus puissants, qui représentent plus de 2 800 milliards de dollars, volent aujourd’hui à la rescousse des grands noms de la finance en manque de capitaux et prennent des parts significatives de fleurons de la finance. La banque d’affaires américaine Merrill Lynch va ainsi être recapitalisée pour 5 milliards de dollars par le fonds gouvernemental singapourien Temasek, qui gère un portefeuille d’actifs de 100 milliards de dollars. Morgan Stanley a fait appel au fonds souverain China Investment Corporation (200 milliards de dollars), qui va lui apporter 5 milliards de dollars d’argent frais, et le géant américain Citigroup a pour sa part été renfloué à hauteur de 7,5 milliards de dollars par le fonds souverain d'Abou Dhabi. La banque suisse UBS, l’une des plus durement touchées par la crise des « subprimes », a elle dû lever 11 milliards auprès d’un autre fonds public de Singapour.
Mais les fonds souverains ne sont pas les seuls à disposer de montagnes de liquidités. Le célèbre investisseur américain Warren Buffett a ainsi fait un nouveau coup d’éclat mardi en mettant sur la table 4,5 milliards de dollars pour prendre 60 % du holding industriel Marmon à la famille Pritzker.
Du côté des assureurs et des fonds de pension, qui gèrent des centaines de milliards de dollars d’épargne, « il reste aussi beaucoup de liquidités », poursuit François Robin. « Ils ont beaucoup d’argent à investir dans les prochains mois, ce qui devrait aider les marchés à se remettre ».