Nouvelle journée de grève sur le terminal pétrolier du port de Marseille. Nouvelle opportunité peut-être de dénouer le conflit qui oppose depuis 16 jours déjà les salariés du Port Autonome de Marseille (PAM) à la direction.
Après l’échec du vote mardi soir, on attend aujourd’hui de nouvelles avancées de la réunion qui doit se tenir sous l’égide de Christian Frémont, préfet des Bouches-du-Rhône.
Au large, les tankers patientent toujours avec leur cargaison. Sur terre, les raffineries tournent à faible régime et les menaces de pénuries de carburant se font de plus en plus lourdes.
Mardi soir, les salariés du PAM ont refusé le protocole de sortie de crise négocié la veille par leurs représentants et la direction du port et ont décidé de reconduire leur mouvement. Le texte proposait notamment l’élaboration d’une « charte de l’emploi portuaire qui devrait définir pour tous les investissements, et dans le cadre des nouveaux projets, les possibilités d’intervention des personnels du PAM ».
Hier, le leader cégétiste, le syndicat à l’origine du mouvement, lors du Congrès des cadres CGT n’a pas manqué de venir à la rescousse des agents du PAM. « La responsabilité du conflit n’est pas dans le camp des grévistes, a justifié le secrétaire général. C’est incompréhensible que ce conflit perdure. »
Pour l’heure, outre la réunion de ce jour, seul le conseil d’administration du PAM programmé vendredi semble à même d’ouvrir une nouvelle fenêtre de négociation entre la direction du Port et les salariés.
Les motifs de revendication
Les salariés du PAM revendiquent le droit d’effectuer les branchements et débranchements des bateaux au futur terminal que Gaz de France est en train de construire à Fos-sur-Mer sur le port (coût : 350 millions d’euros) et qui sera exploité dès 2008 avec Total. Mais ni la direction du Port ni Gaz de France ne souhaitent transiger à ce sujet mettant en avant des questions de sécurité. GDF refuse que des personnels appartenant à une autre entreprise interviennent sur ces procédures de déchargement de gaz des bateaux une fois raccordé au terminal méthanier, un process à haut risque puisque le gaz manipulé est à une température de - 163° et que l’installation est classée Seveso.
Pour GDF, il s’agit d’un « savoir-faire spécifique et un commandement unique qui ne peuvent être délégués », à l’image de ce qui se pratique déjà sur les terminaux de Montoir-de-Bretagne et Fos-Tonkin où ce sont des salariés de GDF qui officient. « Nous souhaitons que la situation revienne le plus vite à la normale, souligne Jean-Marc Leroy, directeur des grandes infrastructures de Gaz de France. Mais il n’est pas question de transiger sur la sécurité de nos sites industriels. Ce n’est pas un hasard si, partout dans le monde, les terminaux sont uniquement exploités par les opérateurs, et par personne d’autre. Morceler la chaîne des opérations conduit à faire peser des risques. »
Autre argument de GDF pour réfuter les revendications de la CGT : en tout, ce genre d’opérations ne devrait occuper que quelques 1 000 heures de travail par an, soit l’équivalent d’un emploi. Pas de quoi boucher le port de Marseille.
Côté salarié, il est donc plus vraisemblable que ce motif de grève cache une inquiétude plus profonde sur l’emploi au PAM. La CGT, à l’origine du mouvement, parle de « la privatisation larvée de l’emploi sur les quais publics ».
Le syndicat œuvre déjà pour contrer un autre projet, celui de l’extension des terminaux conteneurs Fos 2XL, réalisé en partenariat entre le public et le privé pour tripler le trafic, et qui doivent commencer leur exploitation fin 2009. Là aussi, le différend porte sur l’emploi d’agents du PAM par les terminaux privés. Ces derniers s’appuient sur une circulaire Gayssot de 1998 qui entérinait la possibilité d’investissements privés sur le Port mais qui recommandait, dans ce cadre, le développement parallèle de l’emploi public. La direction du PAM, en la personne de Guy Janin, tente de dédramatiser : « ce n’est qu’une circulaire ». Toutefois, le texte provoque bien des remous.
Face à cette situation, le ministre de l’Economie, Thierry Breton, a appelé, mardi sur i-Télé, à « la raison », demandant « que le travail reprenne le plus vite possible ».
L’approvisionnement des raffineries menacé
Mardi, une cinquantaine de navires, dont 28 pétroliers selon l’Union française de l'industrie pétrolière (UFIP), attendait sur rade de pouvoir accéder aux deux terminaux pétroliers publics. Leur présence immobile au large de Marseille ne devrait pas tarder de soulever la colère des associations de défense de l’environnement mais également des acteurs majeurs du trafic maritime dans la région.
Par ailleurs, la grève pourrait avoir de sérieuses conséquences économiques. Déjà l’immobilisation de ces navires coûte plus de 6 millions d’euros, précise l’UFIP. Les retards de livraison en matière première devraient obliger à l’arrêt des raffineries de la zone de l'Etang de Berre ce week-end, faute de pétrole. « On n’en est pas encore aux premiers signes de pénurie, mais on pense que certaines raffineries s’arrêteront ou fonctionneront a minima d’ici la fin de la semaine si le conflit devait perdurer », a déclaré à Reuters le président de l’UFIP, Jean-Louis Schilansky.
Mécaniquement, cela devrait bientôt se faire sentir à la pompe pour les particuliers. Les raffineries de Fos alimentent en carburant toute la partie sud de la France - la région PACA assure 31 % du raffinage français - et d’ici une semaine, les stations-service pourraient manquer d’essence.
Cité à de multiples reprises dans toute la presse nationale et provençale, Jean-François Cousinié, délégué de l’UFIP pour la région PACA, prévoit « les premiers problèmes » début avril. « A terme, c’est toute la façade Est de la France qui est menacée », prévient-il.
Enfin, étant donné qu’il faut plusieurs jours pour redémarrer les installations d’une raffinerie, les effets devraient encore se sentir après la fin de la grève.
A cela s’ajoutent les pertes financières induites par plusieurs jours d’inactivité, de l’ordre de « 1,5 million de manque à gagner par jour » indique Olivier Chevalier, responsable des plannings de la raffinerie Ineos, à Lavera.
Le préfet des Bouches-du-Rhône n’a toujours pas exclu de recourir à la réquisition en cas de problèmes d’approvisionnement. Certaines autres raffineries françaises ont déjà réduit leur production pour faire durer leurs stocks et éviter un arrêt pénalisant.
Le dernier conflit de ce type remonte à 2005. Il avait duré 14 jours et avait coûté 25 millions d’euros, selon Jean-François Cousinié.
Le Port Autonome de Marseille (PAM) en bref :
Le PAM est le troisième port mondial pour les hydrocarbures après Rotterdam (Pays-Bas) et Houston (Texas), avec un trafic de 64,2 millions de tonnes en 2006. Il emploie 1 501 salariés, dont 228 sont affectés au secteur pétrolier. Le port de Marseille-Fos occupe tout de même une superficie équivalente à celle de Paris intra-muros.
Les agents du PAM sont employés de l’établissement public dont ils assurent le fonctionnement. A ne pas confondre avec les dockers, payés par les sociétés privées de manutention.