Nicolas Sarkozy à Moscou : un vrai « test » diplomatique
Article du 09/10/2007
Deux hommes de poigne et de verve. Nicolas s’envole aujourd’hui à la rencontre de son homologue russe, Vladimir Poutine, pour une visite de deux jours qui sera examinée à la loupe par les observateurs de la politique intérieure française et de la diplomatie européenne.
Car de la diplomatie il en faudra aux deux dirigeants. La rencontre est en effet jugée délicate. Si aujourd’hui Nicolas Sarkozy affirme vouloir nouer une relation « franche » avec la Russie, il ne manquait pourtant pas de critiques à l’égard de ce pays il y a de cela quelques mois.
Condamnations des violations des droits de l’Homme, dénonciation de la « brutalité » de Moscou dans le litige gazier avec l’Ukraine, préférence affichée pour le géant américain, critique du comportement « impérial » de la Russie vis-à-vis de son « étranger proche » …, les oreilles de Vladimir Poutine ont dû siffler avec l’arrivée à l’Elysée de Nicolas Sarkozy. La semaine dernière encore, à Sofia, le président français décrivait la Russie comme « un pays qui complique la résolution des grands problèmes du monde » plutôt qu’un « facilitateur ».
C’est dans ce climat agité que le chef d’Etat français doit retrouver mardi le locataire du Kremlin pour leur première rencontre bilatérale, quatre mois après le premier contact pris lors du G8 d’Heiligendamm, en Allemagne.
A la veille de cet important rendez-vous, les deux partenaires se sont néanmoins efforcés, en termes diplomatiques choisis, de gommer toute tension.
Côté russe, le vice-ministre des Affaires étrangères Alexandre Grouchko tempérait : « il n’y a pas de contradiction entre le désir des Français de renforcer leur relation d’amitié avec les Etats-Unis et le développement de leur partenariat traditionnel avec nous »
A Moscou, on espère cependant que cette visite permettra « d’éclaircir la position » de la France sur les problèmes mondiaux après les « déclarations contradictoires de personnalités officielles françaises ».
Côté français, « le président Sarkozy redira à Moscou sa conviction que la Russie est, et restera un acteur majeur des relations internationales et un partenaire incontournable », exprimait en fin de semaine dernière le porte-parole de l’Elysée, David Martinon. « Avec Chirac, le couple franco-russe était soudé avec l’opposition à la guerre en Irak et la volonté d’un monde multipolaire pour tenir tête aux Etats-Unis. Désormais, les grands dossiers opposent Poutine et Sarkozy. Il ne faut pas attendre de résultats très tranchés de cette visite mais plutôt un premier état de lieu qui jetterait les bases d’un dialogue et d’une compréhension mutuelle, comme l’ont réitéré la semaine dernière l’Elysée et le ministère russe des Affaires étrangères. De cette compréhension mutuelle dépendra la suite des relations entre les deux pays », analyse Laurence Delcour, directrice de recherche à l’IRIS(Institut des relations internationales et stratégiques), interrogée sur LCI.
Pommes de discorde
Reste que les sujets d’accrochage ne manquent pas.
Tout d’abord le Kosovo. Paris prône l’indépendance de cette province ce que Moscou, au nom de son amitié avec la Serbie, rejette vigoureusement en menaçant d’user de son droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU.
Autre point d’achoppement : l’Iran, alors que Vladimir Poutine doit se rendre dans quelques jours à Téhéran pour le sommet de la mer Caspienne. Si les deux pays semblent tout autant concernés par la montée de la puissance nucléaire iranienne, à l’inverse de la France, la Russie rechigne à donner son feu vert à une nouvelle volée de sanctions onusiennes destinées à contraindre Téhéran à renoncer à son programme nucléaire militaire.
Or Nicolas Sarkozy « atten(d) de la Russie une contribution importante et positive au règlement des défis de notre temps », déclare le président français dans un entretien au quotidien La Gazette russe daté de mardi.
Reste également l’épineuse question des droits de l’Homme. « Le président y redira son amitié pour le peuple russe » mais « sans faire de concession sur le fond de ses valeurs », a prévenu David Martinon. A l’heure du premier anniversaire de l’assassinat de la journaliste Anna Politkovskaïa, meurtre qui n’a toujours pas été élucidé, le message risque de faire grincer quelques dents.
En revanche, les deux dirigeants devraient pouvoir s’accorder sur le terrain économique.
Après les récents accords signés entre Total et Gazprom (pour l’exploitation du gisement gazier très convoité de Chtokman, en mer de Barents) ou Airbus et Aeroflot (livraison d’A350), de nouveaux projets seront évoqués à Moscou, comme la collaboration entre EADS et la nouvelle holding aéronautique russe UAC ou une participation française à l’avion Superjet 100 du Russe Soukhoï.
La France et la Russie, explique Nicolas Sarkozy dans La Gazette Russe, doivent développer leurs liens économiques et commerciaux sur la base « des critères d’économie de marché et de respect du droit ». Et « quand la Russie coupe les approvisionnements en énergie d’une partie de l’Europe sans prévenir, cela sape la confiance », ne démord pas Nicolas Sarkozy.
Un type d’incidents dans la relation Paris-Moscou qui ne devrait toutefois pas entacher la tendance générale. « A l’avenir, le partenariat commercial entre les deux pays devrait se développer indépendamment des relations politiques », estime Laurence Delcour.