La demande de procédure de sauvegarde lancée par le fabricant de jouets jurassien n’augure rien de bon. Smoby-Majorette croule sous les dettes : 300 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 349 millions d’euros sur l’exercice 2005-2006. « En l’état actuel des choses, Smoby Majorette ne peut poursuivre correctement son développement », estime la société dans un communiqué.
Les raisons de cette déroute financière ? Immanquablement, la concurrence des jouets en plastiques venus d’Asie a fait du mal au premier fabricant français et numéro deux européen, derrière Lego. La hausse du prix des matières premières a également pesé dans les coûts de production de Smoby. Mais on peut surtout l’imputer à une gestion un peu trop gourmande en croissance externe.
Une croissance à marche forcée ?
Mais la société a aussi fait des erreurs. La première conversion de l’entreprise jurassienne date de 1947 lorsqu’elle évolue vers la production d’articles de bazar en plastique injecté. La deuxième de 1970 avec le début des jouets en plastique.
Au début des années 2000, l’entreprise familiale, née en 1924, se penche sur sa croissance et aboutit à la conclusion que, dans un secteur si concurrentiel, il lui faut grandir pour tenter de rivaliser avec ses concurrents, des géants mondiaux comme Mattel ou Habsbro. Jean-Christophe Breuil, descendant du fondateur, est alors aux commandes de l’entreprise depuis ses 23 ans, à la mort de son père en 1993.
En 2003, le rachat de Majorette Toys pour 25 millions d’euros, auprès de l’allemand TriumphAdler, hisse le groupe au premier rang français : l’entreprise prend alors une dimension internationale.
En 2005, Smoby acquiert Berchet, son grand rival jurassien alors en difficultés. Smoby tente ainsi d’atteindre la « taille critique » et rentre dans le « top 10 » mondial des fabricants de jouets. A l’époque, Berchet réalise un chiffre d’affaires de 135 millions d’euros contre 290 pour Smoby.
Mais l’entreprise présente déjà quelques symptômes et l’opération avec Berchet s’avère compliquée. Lourdement endetté, Berchet grève le bilan. Le groupe accuse une perte nette de 25,7 millions d’euros (dont 45 % imputables à Berchet). La production est réorganisée, certains jouets ne sont plus fabriqués. La direction ramène le nombre de sites industriels d’une dizaine à quatre. Sans toucher aux effectifs : 1 500 personnes en France, sur 2 750 au total. Mais, depuis 18 mois, malgré les efforts, l’entreprise ne se relève pas.
Lucide, Jacques Pélissard, le maire UMP de Lons-Le-Saulnier, explique au Monde : « cette entreprise a sans doute grandi trop vite, avec une équipe dirigeant peu préparée. »
Les conséquences de la procédure de sauvegarde
Grâce à ces efforts, les ventes se sont redressées, de l’ordre de 6 % à fin décembre. Sur neuf mois, le résultat opérationnel courant est redevenu légèrement positif. « Aujourd’hui les fondamentaux sont bons : l’exploitation est à l’équilibre, les commandes sont en hausse de 19 % depuis le 1er janvier, nous ne perdons pas de parts de marché, nous payons nos fournisseurs. Nous avons un problème bancaire, pas industriel, social ou commercial », plaide Jean-Christophe Breuil.
Là où le bât blesse, ce sont les liquidités. L’entreprise a accusé une perte nette de 25,5 millions d’euros en 2005 - 2006 et de 9 millions d’euros au premier semestre 2006-2007. Soit un endettement total de 300 millions d’euros pour 58 millions de fonds propres. Smoby-Majorette se trouve incapable d’honorer le remboursement avant fin mars d’un prêt relais de 27 millions d’euros. Devant le risque de cessation de paiement, la direction a donc demandé la protection de la justice au Tribunal de Lons-Le-Saulnier.
La procédure de sauvegarde doit permettre à Smoby de « négocier sereinement avec ses banques des conditions d’apurement de sa dette », expliquait au Monde d’hier Jean-Christophe Breuil. Cette procédure va permettre au fabricant de geler ses créances pendant six mois, histoire de respirer un peu. La direction pourra poursuivre, sous tutelle, ses efforts de restructuration.
La direction espère également se protéger du « loup blanc », ce mystérieux investisseur qui a racheté aux banques une parte de ses dettes.
En revanche, « la pérennisation des activités et de l’environnement de Smoby Majorette passera nécessairement par une recapitalisation du groupe », explique Jean-Christophe Breuil. La famille Breuil est prête à renoncer au contrôle (elle détient 52 % du capital) au profit d’industriels qui garantiraient, par un pacte d’actionnaires, la pérennité du modèle fondé sur une fabrication française à 50 %. Une solution en ce sens devrait être présentée dans les quinze jours.
Le jouet et le Jura, toute une histoire
Par cette crise du fabricant de jouet, c’est l’économie jurassienne qui est touchée de plein fouet. Pour l’heure, la direction aurait assuré aux syndicats qu’aucun risque ne pesait sur les 1 300 emplois en France, sur un effectif total de 2 750 salariés.
80 % des jouets vendus dans le monde sont fabriqués en Chine.
La production française atteignait 823 millions d’euros en 2004 pour des importations estimées à 1,764 milliard d’euros.
Les berceaux historiques de l’industrie du jouet sont la Franche-Comté et le Rhône-Alpes, même si l’érosion lente du marché des jouets pèse de plus en plus sur ces économies régionales, déjà affaiblies par la délocalisation des firmes textiles.
Les fabricants de jouets français bénéficient d’une grande notoriété : les jouets en bois de
L’arbre à Jouet, les constructions métalliques de Meccano, les baby-foot et les billards de Monneret, les jeux de carte de France Cartes, les porteurs de Favre, les jouets à bascule de Clairbois, les poupées Corolle ou les peluches Nounours… La France dispose d’une vingtaine de fabricants connus à l’international. Son industrie du jouet dispose d’une vraie notoriété et d’une identité culturelle forte : éducation et éveil de l’enfant en sont les mots clés.
En France, après une baisse de 2,5 % en 2004, les ventes de jouets ont progressé de 6,2 % en 2005, à 1,78 milliard d’euros (hors jeux vidéo), selon la Fédération du jouet et de la puériculture (FJP).
La définition :
La procédure de sauvegarde, inspirée de la loi américaine sur les faillites dite « Chapter 11 », est entrée en vigueur le 1er janvier 2006. Selon le ministère de la Justice, elle concernait en janvier 2007 près de 500 entreprises dont Eurotunnel ou le quotidien Libération. Il s’agit d’une alternative préalable à la mise en redressement. Dans plus de 80 % des cas, elle permet la poursuite de l’activité, contre 30 % dans le cadre d’un redressement.