L’accord signé entre Smoby-Majorette, le fabricant français de jouets, et son concurrent américain, MGA Entertainement, marque une étape cruciale pour le développement de la firme jurassienne et l’avenir du secteur du jouet en France.
Placé sous une procédure de sauvegarde à sa demande depuis le 20 mars dernier, Smoby-Majorette cherchait à sortir du tunnel dans lequel l’avait mise une politique de croissance externe un peu trop hâtive et gourmande et financièrement défavorable. Car Smoby-Majorette croule sous les dettes : 300 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 349 millions d’euros sur l’exercice 2005-2006.
Trois offres de reprise avaient été déposées devant le CIRI, le gérant des créances de l’Etat : celle du géant californien MGA Entertainment, celle du chinois Cornerstone et celle des créanciers du groupe rassemblés autour de la Deutsche Bank.
L’accord signé avec MGA aidera-t-il Smoby ?
Après plusieurs semaines de négociations, les deux concurrents français et américains ont donc décidé de se rapprocher. Hier, le comité central d’entreprise de Smoby s’est prononcé en faveur de la solution MGA Entertainment, le numéro trois mondial du jouet derrière Mattel et Hasbro.
A terme – d’ici cinq semaines –, MGA doit devenir l’actionnaire majoritaire de Smoby-Majorette, reprenant la totalité des 52 % de la famille Breuil, fondatrice de l’entreprise. En revanche, Jean-Christophe Breuil conserverait son poste de président.
En attendant la décision, MGA devrait dans un premier temps fournir « par l’intermédiaire de l’établissement bancaire, HSBC, les moyens nécessaires à financer le besoin en fonds de roulement des sociétés du groupe placées sous sauvegarde », a annoncé la direction de Smoby. Le montant de l’investissement de l’américain n’est pas précisé mais selon Jean-Chistophe Breuil, ce serait « plus » que les 60 millions d’euros évoqués ces jours derniers. « Les actionnaires ont fait le choix très clair de MGA qui présente la meilleure solution de sortie de crise par le haut, explique Jean-Christophe Breuil dans les colonnes du Figaro ce matin. MGA permettra à Smoby d’entrer sur le marché américain où il pourrait trouver entre 40 et 70 millions de dollars de débouchés. À l’inverse, Smoby pourra aider MGA à développer entre 60 et 80 millions d’euros d’activités en Europe pour ses différentes marques. »
MGA Entertainement fabrique (en Chine) les poupées Bratz et des produits dérivés du dessin animé Shrek. Il a racheté l’an dernier aux États-Unis Little Tikes, qui produit des jeux d’extérieur similaires à ceux de Smoby et 23 % du fabricant allemand de poupées Zapf.
Reste à trouver l’accord des créanciers, les banques réunies autour de la Deutsche Bank, qui détiennent environ 300 millions d’euros de dettes. Dans le cadre du plan de sauvegarde, le plan de reprise de MGA devra être validé par le comité des fournisseurs et celui des créanciers. Or ces derniers peuvent bloquer la décision.
L’emploi, l’inquiétude des salariés de Smoby
Dans les vallées jurassiennes, Smoby reste un des principaux employeurs. Si la direction du fabricant assurait lors du dépôt de la demande de procédure de sauvegarde ne pas vouloir opérer de licenciements, l’accord avec MGA remet l’emploi sur le devant de la scène.
La direction de Smoby fait valoir l’argument de la complémentarité entre les deux groupes pour rassurer. Ainsi, dit-il dans le Figaro, que cet accord devrait permettre le maintien des effectifs de Smoby, à savoir 2 700 personnes dont 1 300 en France. Et même d’anticiper un renfort des équipes commerciales et logistiques en France.
Un ton rassurant donc côté français qui ne trouve pas d’équivalent chez MGA Entertainement car l’américain ne s’engage pas de façon ferme sur une garantie de l’emploi. La semaine dernière d’ailleurs, les salariés de Smoby-Majorette n’avaient pas caché leurs craintes concernant l’emploi dans la vallée en organisant une manifestation.
Les berceaux historiques de l’industrie du jouet sont la Franche-Comté et le Rhône-Alpes, même si l’érosion lente du marché des jouets pèse de plus en plus sur ces économies régionales, déjà affaiblies par la délocalisation des firmes textiles. La production française a atteint 823 millions d’euros en 2004 pour des importations estimées à 1,764 milliard d’euros. Toutefois, 80 % des jouets vendus dans le monde sont fabriqués en Chine.
Les fabricants de jouets français bénéficient en revanche d’une grande notoriété : les jouets en bois de L’arbre à Jouet, les constructions métalliques de Meccano, les baby-foot et les billards de Monneret, les jeux de carte de France Cartes, les porteurs de Favre, les jouets à bascule de Clairbois, les poupées Corolle ou les peluches Nounours… La France dispose d’une vingtaine de fabricants connus à l’international. Son industrie du jouet dispose d’une vraie notoriété et d’une identité culturelle forte : éducation et éveil de l’enfant en sont les mots clés.
En France, après une baisse de 2,5 % en 2004, les ventes de jouets ont progressé de 6,2 % en 2005, à 1,78 milliard d’euros (hors jeux vidéo), selon la Fédération du jouet et de la puériculture (FJP).
Les raisons de la déroute de Smoby
La société a fait des erreurs. La première conversion de l’entreprise jurassienne date de 1947 lorsqu’elle évolue vers la production d’articles de bazar en plastique injecté. La deuxième de 1970 avec le début des jouets en plastique.
Au début des années 2000, l’entreprise familiale, née en 1924, se penche sur sa croissance et aboutit à la conclusion que, dans un secteur si concurrentiel, il lui faut grandir pour tenter de rivaliser avec ses concurrents, des géants mondiaux comme Mattel ou Habsbro. Jean-Christophe Breuil, descendant du fondateur, est alors aux commandes de l’entreprise depuis ses 23 ans, à la mort de son père en 1993.
En 2003, le rachat de Majorette Toys pour 25 millions d’euros, auprès de l’allemand TriumphAdler, hisse le groupe au premier rang français : l’entreprise prend alors une dimension internationale.
En 2005, Smoby acquiert Berchet, son grand rival jurassien alors en difficultés. Smoby tente ainsi d’atteindre la « taille critique » et rentre dans le « top 10 » mondial des fabricants de jouets. A l’époque, Berchet réalise un chiffre d’affaires de 135 millions d’euros contre 290 pour Smoby.
Mais l’entreprise présente déjà quelques symptômes et l’opération avec Berchet s’avère compliquée. Lourdement endetté, Berchet grève le bilan. Le groupe accuse une perte nette de 25,7 millions d’euros (dont 45 % imputables à Berchet). La production est réorganisée, certains jouets ne sont plus fabriqués. La direction ramène le nombre de sites industriels d’une dizaine à quatre. Sans toucher aux effectifs : 1 500 personnes en France, sur 2 750 au total. Mais, depuis 18 mois, malgré les efforts, l’entreprise ne se relève pas, même si les ventes se sont redressées, de l’ordre de 6 %, en décembre dernier. « Aujourd’hui les fondamentaux sont bons, expliquait Jean-Christophe Breuil en mars dernier, l’exploitation est à l’équilibre, les commandes sont en hausse de 19 % depuis le 1er janvier, nous ne perdons pas de parts de marché, nous payons nos fournisseurs. Nous avons un problème bancaire, pas industriel, social ou commercial ».
Là où le bât blesse, ce sont les liquidités. L’entreprise a accusé une perte nette de 25,5 millions d’euros en 2005 - 2006 et de 9 millions d’euros au premier semestre 2006-2007. Soit un endettement total de 300 millions d’euros pour 58 millions de fonds propres. Smoby-Majorette se trouve incapable d’honorer le remboursement avant fin mars d’un prêt relais de 27 millions d’euros. Devant le risque de cessation de paiement, la direction a donc demandé la protection de la justice au Tribunal de Lons-Le-Saulnier.
La procédure de sauvegarde, inspirée de la loi américaine sur les faillites dite « Chapter 11 », est entrée en vigueur le 1er janvier 2006. Selon le ministère de la Justice, elle concernait en janvier 2007 près de 500 entreprises dont Eurotunnel ou le quotidien Libération. Il s’agit d’une alternative préalable à la mise en redressement. Dans plus de 80 % des cas, elle permet la poursuite de l’activité, contre 30 % dans le cadre d’un redressement.